Je suis Mewolong, un elfe sylvain des grandes forêts orientales. J'ai déjà parcouru tous les territoires de mon monde. Je suis parti à l'aventure, car telle est ma vie. Je suis l'un des plus grands aventuriers. Nous ne sommes qu'une poignée de par le vaste monde à avoir atteint un tel niveau de connaissances et d'expériences. Mes cheveux noirs comme le jais me tombent jusqu'au bas du dos, sur ma cotte de mitril. C'est une pièce unique d'une valeur inestimable, forgée par les maîtres nains pour un prince elfe au temps où nos deux races entretenaient des liens fraternels. C'est l'une des sept reliques perdues des elfes. J'en possède deux autres, la dague de Faënor, une lame en pierre de sang, seule matière pouvant transpercer le mitril. Nul ne sait comment cette lame a pu exister. Maintes légendes et chansons racontent que Faënor, l'un des dieux de l'ancien monde l'aurait égarée alors qu'il sculptait avec les montagnes sacrées du nord-est, le massif de Fargol. La troisième relique en ma possession est l'arc de Légolène. Un arc qui fut offert à la princesse Légolène des mains même de la déesse chasseresse au second âge de notre temps où les dieux et les elfes se côtoyaient encore. Cet arc ne peut être bandé que par un elfe et point besoin d'y placer un carreau, c'est au moment du tir qu'une flèche apparaît pour se planter droit dans le coeur de la cible visée. Cet arc a bien failli me coûter la vie ainsi que mes autres reliques. Mais avant de vous conter cette histoire, je dois vous instruire un peu sur mon monde.
Lors du premier âge, les dieux créèrent notre terre et la façonnèrent à leurs idées. Une fois leurs oeuvres accomplies, ils créèrent les elfes, êtres immortels et leurs enseignèrent mille et une choses. L'apparition des elfes marqua le passage dans le second âge. Sur le déclin du deuxième âge, les dieux ne s'entendirent plus. Chacun ayant une vue différente sur l'avenir du monde, ils créèrent chacun individuellement de nouvelles races avant de disparaître eux-mêmes. Ce fut l'apparition des nains et des hommes, des magiciens et des petites gens, des orques et des gobelins. Mais les énumérer toutes me prendrait trop de temps que je n'ai plus d'ailleurs. Ce fut là, l'avènement du troisième âge. Au début, les relations entre les races étaient relativement bonnes, mais avec la disparition des dieux, des différends apparurent rapidement, même au sein de communautés d'une même espèce. Ainsi chez les elfes, apparurent certains êtres qui se dissocièrent et choisirent de suivre la sombre voie. L'union des forces sombres plongea le pays dans le chaos. Seule l'immense forêt centrale de Légolien, le roi du peuple elfique, semblait en paix, mais les forces sombres s'unirent et investirent la forêt, brûlant les arbres pour découvrir l'arbre palais du roi elfe. Une marée d'orcs et de trolls, de mages noirs et de gobelins investit l'arbre palais en quête du roi. Mais loin de se rendre, le roi livra bataille, entouré de ses plus braves guerriers. Même sa propre fille se battait à ses côtés. La fuite était impossible et de toutes manières, inenvisageable. La bataille fut longue et Légolène maniait son arc avec dextérité, jamais à court de projectiles, des monceaux de créatures malfaisantes s'amoncelaient. Mais pour un orc tué, il semblait que deux autres survenaient. Noyés sous une masse d'adversaires toujours plus nombreux, grandissante à chaque instant, les elfes furent massacrés jusqu'au dernier. Même Légolène avec son arc succomba. Les forces sombres victorieuses pillèrent les richesses puis quittèrent les lieux laissant les cadavres pourrir en ce lieu devenu silencieux, laissant l'arc de Légolène sous son corps sans vie.
La chute des elfes marqua la fin du troisième âge et le début du quatrième. Un âge sombre où l'insécurité était générale, mais il est dit dans une prophétie que celui qui réunirait les sept reliques des elfes, deviendrait le roi du cinquième et dernier âge. Plusieurs milliers d'années à vivre tout en détruisant les orcs sombres et en réinstaurant la paix.
J'étais donc en quête des sept reliques sacrées lorsque je tombai sur une bande d'orcs. Ces derniers flairèrent ma présence et commencèrent à me chasser. Je me réfugiai dans les fourrés pour tenter de leur échapper. Bien supérieurs en nombre, j'envisageai de les harceler et de les éliminer un par un. M'enfonçant plus dans les fourrés, je chutai dans ce qui semblait être un souterrain. Curieux, je m'aventurai un peu plus avant pour me rendre compte que je venais de retrouver les restes de l'arbre palais du roi Légolien, perdu depuis si longtemps. Au détour d'un couloir, je découvris une petite fontaine d'où s'échappait le clapotis d'un filet d'eau s'écoulant dans un bassin. Je décidai d'y faire une pause et de m'offrir le luxe d'un brin de toilette. J'ôtai donc ma cotte en mitril et mes habits puis plongeai mes mains dans la vasque afin de me rafraîchir et me nettoyer un peu. Une fois mes ablutions terminées, je m'étirai et... reçus une flèche en plein coeur, me transperçant la poitrine de part en part. Je levai les yeux en direction d'où provenait le projectile et découvris avec stupeur mon assassin. Un elfe noir. Un elfe qui avait choisi la voie du sombre et qui arborait fièrement l'arc de Légolène. Avec ma mort, il serait alors en possession de trois des sept reliques, si toutefois il n'en possédait pas d'autres. Si les forces sombres s'emparaient des sept reliques, c'est le désordre et le chaos qui règneraient sur le monde pour les millénaires à venir.
Au moment où je m'écroulais à terre, j'entendis un air de flûte, une mélopée de notes rapides et complexes. Le temps se stoppa brusquement. Ma chute s'inversa puis, la flèche sembla bouger en sens inverse, elle se retira de mon torse puis rejoignit l'arc de mon agresseur. Le temps se déroulait à l'envers sous l'effet de la musique. Quand celle-ci se tut, je vis l'elfe noir bander son arc à nouveau pour réitérer son attaque, mais soudainement, une lame lui trancha la tête avant qu'il n'ait pu libérer la corde de son arc. Une magnifique elfe aux cheveux d'argent se tenait à la place de l'assassin lorsque ce dernier chuta au sol lâchant le précieux arc de Légolène.
« Vous êtes bien imprudent de vous séparer ainsi d'une aussi belle cotte de maille. Vous auriez pu y perdre la vie si seulement je ne vous avais pas suivi. »
Elle ramassa l'arc de Légolène, s'avança vers moi puis m'a dit :
« Bonjour, je me nomme Faëlle et j'ai une proposition à te faire. Je te donne l'arc de Légolène et je te laisse ta cotte de mitril et la dague de Faënor, en échange, tu me laisses t'accompagner pour chercher les trois autres reliques et tu m'enseignes et me fais partager ton expérience. Qu'en dis-tu ? »
Avais-je vraiment le choix ?
J'acceptai donc sa proposition, elle m'avait, après tout, sauvé la vie et de plus, elle était vraiment charmante. Je me revêtis en lui précisant qu'elle faisait erreur et qu'il restait quatre reliques à trouver. Elle écarta les pans de ma chemise et caressa la cicatrice laissée par la flèche de l'elfe noir.
« Tu sembles avoir la mémoire courte, me répondit-elle.
-C'est la flûte d'Eolwène qui t'a sauvé, elle a le pouvoir de contrôler le temps. Elle peut le ralentir, l'accélérer ou même le reculer, tout dépend de la musique que l'on y joue. C'est l'une des sept reliques.
En fouillant le corps de mon agresseur, nous découvrions deux autres reliques qu'il avait déjà en sa possession. L'anneau d'invisibilité qui permet de se rendre totalement invisible à la vue de toute créature vivante et le bracelet de Börr. Un bracelet de force permettant de déplacer sans efforts n'importe quelle charge.
Il ne nous restait plus qu'une seule relique à trouver pour rétablir la paix et la justice dans notre monde. Nous avons parcouru bien des lieues dans toutes les directions, nous avons combattu bien des monstres et même terrassé Brür le dragon du mont interdit, nous avons fouillé son antre, étudié l'intégralité de son trésor pour tenter de découvrir quelle était la dernière relique. Faëlle était devenue ma compagne, s'embellissant de jours en jours et puis, alors que nous nous reposions dans les vestiges d'un donjon perdu au beau milieu du grand désert du sud, après un combat acharné contre une bande de scorpions géants, Faëlle m'interpella en me montrant les bas-reliefs de l'un des murs. Il y était présenté les sept reliques des elfes. La cotte de mitril, la dague de Faënor, l'arc de Légolène, la Flûte d'Eölwène, l'anneau d'invisibilité, le bracelet de Börr et la septième : une perle lumineuse. Ainsi, selon le bas-relief, la septième relique était une perle de lumière qui avait été confiée à un puissant magicien. Il ne pouvait s'agir que de Gandor, le plus puissant des grands maîtres magiciens. Souhaitons que c'était bien lui, ainsi nous n'aurions pas à le combattre. Il était clairement du côté des justes. Il combattait avec toute la puissance de ses sortilèges les forces sombres. Nous décidions de ne pas perdre un seul instant et de nous rendre à son donjon. La tour du destin. C'est là que le quatrième âge prendra fin et que le cinquième et dernier débuterait avec mon accession au trône du roi des elfes. La tour du destin était une tour si haute que le sommet était invisible du sol, toujours camouflé dans les nuages.
Gandor nous accueilli en personne. J'allais nous présenter, mais dès que j'ouvrais la bouche, aucun son n'en sortait. Une voie pourtant m'emplit la tête.
« -Il n'est point besoin de te présenter Mewolong, je sais qui tu es et ce que tu cherches est au sommet de mon donjon. Pour parvenir à ton destin, tu devras néanmoins passer par une épreuve bien difficile. Il leva son bâton, une sensation de légèreté m'envahit de la tête aux pieds. Regardant vers le bas, je me rendis compte que je lévitais. Mes pieds ne touchaient plus le sol. Faëlle aussi volait. Notre ascension dura plusieurs minutes à une vitesse accélérant en permanence. Puis, tout s'arrêta d'un coup. Nous étions arrivés au sommet de la tour, une plateforme circulaire sans garde-fous, bien au-dessus des nuages. Au centre, flottait à environ un mètre du sol la perle de lumière, la dernière relique des elfes. Je m'en emparais avec délicatesse. J'attendais que quelque chose se produise, mais rien. Absolument rien ne se passait. Je cherchais donc un moyen de descendre, mais aucun escalier n'était visible. Je demandais à Faëlle si elle connaissait un air de flûte qui pourrait nous aider, mais non, la flûte n'influait que sur le déroulement du temps. Je m'approchais du bord lorsqu'elle me chuchota à l'oreille :
« Saute, si tu m'aimes, saute et rejoins-moi dans ce monde ».
Je tombai.
Une chute interminable.
Puis, toute ma vie défila devant mes yeux. Moi enfant, mes parents, ma soeur, mes amis ma petite copine Estelle, les parties de babyfoot au bar du coin avec les copains, les soirées, les études, les vacances à la mer en famille, Estelle toujours plus amoureuse, puis la découverte d'un jeu en ligne, les nuits blanches, la fatigue, les premières mauvaises notes, les absences de plus en plus nombreuses, les journées à jouer, les repas avalés sur le pouce, les nuits blanches de plus en plus nombreuses, les échecs scolaires alarmants, mon irascibilité face à mes amis, le départ d'Estelle lasse de m'attendre et de mes colères, les sous dépensés pour jouer, toujours jouer, toujours plus d'argent. Au bout de mon interminable chute, il n'y avait pas de Faëlle. Il n'y avait que la mort. La vraie. Celle dont on ne revient pas.
- Citation :
- Le 23 mars 2007, Jordan se suicide en sautant par la fenêtre de l'appartement familial à Grenoble. Ce jeune homme de 24 ans, "bronzé et bien bâti" selon sa mère, avait changé du tout au tout en quelques mois. Amaigri, replié sur lui-même, ingurgitant des "litres de café" et "fumant cigarette sur cigarette". Totalement accro à son ordinateur, Jordan passait jusqu'à 19 heures par jour sur un site de jeux en réseau. Cyberdépendant au dernier degré.
Source : http://www.france-info.com
Je lui dédie ce texte.